CORNELIA GEPPERT : SUR LES FLOTS DE LA SOLITUDE

Sea of Solitude: The Director’s Cut est désormais disponible sur Nintendo SwitchTM ! Développé par le studio indépendant Jo-Mei, ce jeu met en scène Kay, une jeune femme perdue dans un monde mystérieux, submergé par les flots. On ne vous en dit pas plus, pour ne pas gâcher la surprise de la découverte ! Ce qu’on peut vous préciser en revanche, c’est les nouveautés apportées par cette version exclusive : un script retravaillé par l’auteur Stephen Bell, un nouveau casting de voix, des sous-titres internationaux, des nouvelles animations pour Kay, des scènes cinématiques revisitées, l’ajout d’un mode photo et la possibilité de diriger la fusée de détresse avec le gyroscope.  

Célébrer la sortie du jeu, c’est aussi l’occasion rêvée de bavarder avec Cornelia Geppert, la co-fondatrice du studio berlinois Jo-Mei, qui est à l’origine de l’expérience Sea of Solitude ; nous n’avons pas résisté à l’envie d’en savoir plus sur l’origine du projet ! 

Quantic Dream : Halo Cornelia ! Nous sommes ravis que les débuts de Quantic Dream en tant qu’éditeur « third party » se fassent avec Jo-Mei ; comment s’est passée cette aventure ?  

Cornelia Geppert : Hello Quantic Dream ! Alors d’abord, appelez-moi “Connie” ? Pour être honnête, je suis toujours étonnée que nous soyons en train de travailler avec Quantic Dream, et ce depuis un certain temps maintenant ! Beaucoup de membres de mon équipe (moi y compris) sont fans depuis Fahrenheit: Indigo Prophecy. J’ai rencontré Guillaume de Fondaumière [Directeur Général Délégué de Quantic Dream] à la Gamescom 2019, où nous avons discuté des futurs jeux de Jo-Mei. Peu de temps après, Quantic Dream nous a approché avec l’idée de publier Sea of Solitude pour Switch, mais en tant que Director’s Cut, donc une version améliorée. Vous vous doutez que j’ai crié de joie pendant une semaine d’affilée à cause de cette offre à laquelle je ne m’attendais pas du tout ! Et puis nous savons qu’il y a plein de fans de Sea of Solitude chez Quantic Dream, donc vraiment, c’était un rêve éveillé ! ? 

Quantic Dream : Quel bilan fais-tu de cette collaboration avec les équipes de Quantic Dream ?  

Cornelia Geppert : Quantic Dream est un studio avec une vision artistique ; parler avec David Cage, avoir des échanges et des réflexions créatives avec cette équipe, c’est tout simplement incroyable. Nous avons pu sentir que nous avions soudain un partenaire qui comprend et ressent la même chose que nous. Et nous avons également pu faire ce constat dans tous les domaines, par exemple en matière d’édition ; le soin et l’attention que leur département a consacré à la promotion de Sea of Solitude: The Director’s Cut m’ont presque fait pleurer, il n’y a pas de plus grande récompense pour une artiste que de voir que d’autres s’intéressent réellement à votre art, et c’est ce qu’a fait Quantic Dream. 

Quantic Dream : Remontons encore plus loin. Quel est ton parcours professionnel et qu’est-ce qui t’a motivée à monter ton propre studio de développement jeu vidéo ?  

Cornelia Geppert : Je dessine depuis que je suis toute petite ! Je me souviens d’une fois où j’ai eu une très mauvaise note parce que mon professeur avait vu que mes livres scolaires étaient pleins de dessins de Sailor Moon et d’Akira ! À 17 ans, j’ai commencé à travailler à plein temps dans le plus grand studio de bande dessinée d’Allemagne, en tant qu’artiste. C’était une période incroyablement excitante, je quittais la maison de mes parents, située dans une petite ville, pour la grande Berlin, pour devenir illustratrice de BD, mon tout premier emploi. 

Quelques années plus tard, j’ai voulu tester des nouvelles choses, alors j’ai commencé à travailler comme scénariste et accessoiriste dans l’industrie de l’animation pour un studio français. À cette époque, la première Games Academy a ouvert ses portes à Berlin et un ami m’en a parlé, parce que j’étais une grande joueuse depuis mes 9 ans, soit juste après la chute du mur de Berlin (je suis née en Allemagne de l’Est), quand nous avons enfin eu un accès plus facile aux jeux. J’ai donc demandé une bourse à cette académie et je l’ai obtenue. Je suis devenue la première femme de cette école et j’ai pu officiellement me considérer comme conceptrice de jeux, après avoir obtenu mon diplôme. 

Mon premier emploi dans le jeu vidéo, ça a été dans un studio plus grand, où j’ai travaillé comme modélisatrice 3D, conceptrice, éclairagiste pour les scènes cinématiques, conceptrice de niveaux, artiste pour le marketing… Je voulais tout apprendre et en faire le plus possible, et je me souviens qu’un des patrons m’a dit que je faisais partie des piliers de ce studio à l’époque. J’y ai rencontré un autre « pilier », le co-fondateur de Jo-Mei, Boris Munser. Il est aussi créatif que moi, mais en plus, c’est un génie de la programmation ; nous sommes de grands amis depuis plus de 15 ans maintenant ! Nous avons travaillé en tandem là-bas, et comme nous faisions des choses incroyables ensemble, après la fermeture du studio je l’ai poussé à créer notre propre studio ensemble ! ? J’ai beaucoup d’énergie, j’aime aussi faire toute la paperasse, etc. Nous avions donc déjà tout ce qu’il nous fallait à deux et nous avons créé Jo-Mei fin 2009, début 2010. 

Nous avons développé avec succès de nombreux petits jeux de marketing pour des sociétés comme Gazprom ou BMW, mais nous avons également commencé à créer des jeux gratuits et les avons fait publier. Nous aurions pu continuer éternellement de cette manière, on gagnait bien notre vie, mais sur le plan artistique je me sentais de plus en plus malheureuse ; j’avais des tas d’histoires et d’idées folles pour des jeux, il fallait que ça sorte de ma tête. J’ai donc commencé à écrire un concept pour un tout autre type de jeu, Sea of Solitude, alors que nous développions encore nos programmes classiques. 

Quantic Dream : Comment t’es venue l’idée de Sea of Solitude ?  

Cornelia Geppert : La premier jet de Sea of Solitude ressemblait plus à un Pokémon dans une ville inondée ! ? Le dernier jeu gratuit que nous avons développé, Brave Little Beasties, était justement un jeu à la Pokémon, donc je pense que c’était la transition naturelle de ce genre d’expérience vers des choses plus profondes. C’est donc à ce moment que j’ai commencé à écrire la première version de Sea of Solitude, mais c’est aussi à cette période que je me suis sentie de plus en plus seule dans ma vie privée ; un journal berlinois avait d’ailleurs publié un article sur la solitude croissante à Berlin et dans le monde. J’ai commencé à changer lentement mon idée de jeu, qui consistait donc à attraper des Pokémon dans une ville inondée, pour ces rencontres avec des monstres qui se sentent seuls. 

Et puis j’ai moi-même rencontré un homme, nous sommes tombés très amoureux et c’était le paradis pendant un bon moment. Il s’est livré à moi au sujet de sa dépression et là, j’ai commencé à m’informer sur les problèmes de santé mentale de toutes sortes, car je voulais désespérément l’aider à aller mieux.  

Tout ça a fortement influencé mon écriture sur Sea of Solitude, la vie que j’ai littéralement vécue à l’époque a alimenté les nombreux sujets abordés dans notre jeu. Son écriture elle-même m’a semblé être une petite thérapie en soi, le fait de laisser sortir toutes mes pensées et mes conflits intérieurs et les mettre dans mon art, c’était libérateur. Cela dit, tous les sujets de Sea of Solitude ne sont pas tirés de ma propre vie ; certains sont inspirés par mon entourage.  

Quantic Dream : Pourquoi avoir voulu revenir sur tes pas et replonger dans la vie de Kay pour cette Director’s Cut ?  

Cornelia Geppert : Comme vous pouvez le deviner, le développement de Sea of Solitude a été tout à fait unique et stimulant pour nous aussi. En tant que studio, nous avons non seulement fait le saut des jeux par navigateur gratuits aux jeux consoles/PC, mais nous avons également fait le saut vers un genre complètement différent, les jeux d’aventure axés sur l’histoire, tout en doublant au passage la taille de notre équipe, qui compte désormais 12 personnes. Mais j’avais aussi une vie privée extrêmement difficile, et tout ça a pesé sur la qualité de Sea of Solitude. Je suis encore SUPER FIÈRE de ce que nous avons réalisé avec ce jeu, et le simple fait que nous l’ayons sorti est en soi un exploit, MAIS nous savions aussi que Sea of Solitude aurait pu être encore meilleur avec un peu plus de temps et le soutien de quelques esprits créatifs de plus. Pour moi ce n’était qu’un vœu pieux, mais à notre grande surprise, Quantic Dream est arrivé et nous a offert ça. 

Quantic Dream : Quel conseil donnerais-tu aux personnes, et en particulier aux femmes, qui veulent suivre tes pas dans l’industrie du jeu vidéo ?  

Cornelia Geppert : Il me semble que je suis un cas particulier, parce que j’entends tellement de gens dans l’industrie dire qu’ils ou elles ont été harcelées ou attaquées en ligne, alors que jusqu’à présent, je n’ai jamais rien vécu de tel. Cela étant, il n’y a pas longtemps, et pour la première fois, j’ai découvert des problèmes de jalousie qui m’ont impactée. Ce que j’ai appris de cette expérience et que je conseille vivement, surtout aux femmes, c’est de faire attention aux personnes avec lesquelles vous choisissez de travailler. Suivez votre instinct et même si les gens vous semblent sympathiques et drôles, lorsque quelque chose ne va pas, essayez de prendre du recul et de ne pas vous dévoiler entièrement.  

Sinon, j’ai envie de vous dire « sortez de là » ! Allez aux conventions, faites connaissance avec les gens de l’industrie, montrez votre art, en ligne et dans la vie réelle. Je me souviens d’avoir participé à la convention PAX à Boston avec mon ordinateur portable, pour montrer à toutes les personnes qu’on croisait le premier prototype et les travaux artistiques préparatoires de Sea of Solitude. Et c’est comme ça que j’ai fait la connaissance de pleins de personnes-clefs de l’industrie, qui ont adoré le jeu, qui m’ont aidée à faire connaitre le projet Sea of Solitude, et finalement en faire un succès. 

Quantic Dream : Merci pour ta franchise, c’est important pour celles et ceux qui veulent suivre tes pas ! Et sinon, pour aborder un point plus léger, quand tu ne travailles pas sur un jeu vidéo, qu’est-ce qui te fait vibrer ?  

Cornelia Geppert : Alors là, je pourrais en parler pendant des heures, parce que j’ai beaucoup de hobbies ! J’adore le surf, les voyages en voiture, l’escalade, la course à pied, les jeux vidéo, les concerts, les terrasses de café au soleil et les verres de vin avec mes amis, le jardinage, la randonnée, l’artisanat, la musique, la lecture, le théâtre, les bandes dessinées, les dessins animés et bien d’autres choses encore ! J’espère vraiment que cette fichue pandémie sera bientôt terminée pour que nous puissions profiter à nouveau de toutes les activités que nous aimons. 

Quantic Dream : Impossible de ne pas finir sur une question en rapport avec le thème de la mer ! Choisis trois œuvres (jeux, films, livres, séries…) à emmener sur une île déserte.  

Cornelia Geppert: Alors, en ce moment je lis Le Cycle de Terremer et j’adore, donc je prendrais ça pour le terminer ! La série de comics Giant Days est aussi sur le haut de ma liste, je prendrais ça aussi. Et Yakuza: Like A Dragon parce qu’il me touche sur tellement d’aspects, J’ADORE les personnages et leur écriture, vraiment parfaite. D’autre part je suis une grande fan de Dragon Quest ! Et à ce propos, les développeurs de Yakuza: Like A Dragon font une grande déclaration à Dragon Quest dans leur jeu, voilà ! Ce sont mes jeux de cœur, aucun doute là-dessus. 

Merci beaucoup Connie pour toutes ces grandes réponses ! Sea of Solitude: The Director’s Cut est disponible sur Nintendo SwitchTM, en téléchargement et en version boite limitée avec un sticker exclusif ; une démo gratuite est également proposée sur le Nintendo eShop. N’hésitez donc pas à suivre le compte officiel Sea of Solitude sur Twitter pour avoir les dernières infos autour du jeu ; nous avons notamment préparé une série de vidéos « Behind the Scenes », pour découvrir l’envers du décor, et qui sortira très prochainement sur notre chaine YouTube, donc n’oubliez pas de vous abonner et d’activer les notifications !    

Sea of Solitude: The Director’s Cut (page du jeu)

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