QD & Moi – BENJAMIN DIEBLING – Réalisateur

Quantic Dream : Peux-tu te présenter ? Quel est ton nom, d’où viens-tu et quel est ton rôle chez Quantic Dream ? 

Hello ! Je m’appelle Benjamin Diebling, je suis né à Paris mais j’ai grandi dans le sud de la France, plus exactement à Hyères sur la côte d’Azur. Je suis revenu à Paris il y a presque 15 ans pour étudier le cinéma et aujourd’hui je suis le Director de Quantic Dream, autrement dit le réalisateur.

QD : Comment t’es-tu retrouvé à travailler dans l’industrie du jeu vidéo ? Était-ce un rêve de longue date, ou l’as-tu intégré un peu par hasard ? 

Un peu de deux. J’ai toujours aimé le jeu vidéo et j’y joue depuis que je suis tout petit. Mon premier jeu fini (merci à mes trois grand frères) doit être Rick Dangerous sur Atari en 1993, puis The Legend of Zelda: A Link to the Past sur Super Nintendo, et là je suis devenu accro. J’ai passé des heures à faire découvrir les Final Fantasy à ma petite sœur et à jouer à Street Fighter III 3rd Strike, Tekken 3 et MicroMachines V3 avec mes amis. J’ai toujours été joueur et ça a beaucoup contribué à ma passion des mondes imaginaires.

En revanche, je n’avais pas envisagé de travailler dans ce milieu, et après avoir étudié la physique et les maths, je me suis dirigé vers le cinéma, une autre grande passion. Après un diplôme en mise en scène, j’ai postulé dans un studio français comme cadreur/monteur. J’ai été pris, et deux semaines plus tard, j’ai commencé mon premier tournage avec Elliot Page et Willem Dafoe sur Beyond: Two Souls ! Une expérience incroyable, j’ai passé mes journées à apprendre sur la direction d’acteurs en motion capture et la technologie utilisée, qui était beaucoup moins populaire en 2012 qu’aujourd’hui ! Après ça on a fait The Dark Sorcerer, une expérience tout aussi intéressante. Et puis je suis parti faire un master en screenwriting en Australie, j’avais envie de revoir la théorie. À mon retour en France, Quantic Dream m’a recontacté pour un projet basé sur le court métrage Kara, Detroit: Become Human.

QD : Parle-nous plus précisément de ton travail ici ; quel est ton rôle et celui de ton équipe ? 

En tant que réalisateur je m’occupe des sujets, généralement créatifs, qui tournent autour des tournages et de la cinématographie : casting, direction d’acteur, chorégraphies de cascades. Je travaille avec le Game Director, David Cage, pour discuter de la direction des projets en cours ; la communication est primordiale, une discussion de 5 minutes peut parfois faire gagner des jours de travail ! Ce que j’aime particulièrement c’est que je suis amené à collaborer avec toutes les autres équipes du studio, que ce soit l’animation, les caméras de jeu, le gameplay, la direction artistique, l’écriture, la lumière, le son…

Je supervise aussi l’équipe Shooting, qui assure la production des tournages en motion capture : fabriquer les props, créer des moodboards, assurer la continuité et la cohérence de chaque personnage dans leur acting, etc. Et ce travail est le même pour les productions externes, comme Sea of Solitude: The Director’s Cut par exemple. Notre plateau est d’ailleurs régulièrement sollicité par d’autres studios. Parmi ces tournages on peut citer le Story Trailer d’Elden Ring (jeu que j’attends le plus en 2022 !), le trailer de Beyond Good and Evil 2, celui de Baldur’s Gate 3, la scène d’intro du film Kingsglaive: Final Fantasy XV, ou encore des épisodes de la série Netflix Love Death & Robots. Autant d’occasions d’échanger et de travailler avec d’autres équipes. Dans le même genre, j’ai eu la chance de travailler sur un court métrage pour Balenciaga, en tant que réalisateur ; une autre expérience complexe et enrichissante. Et plus récemment encore, j’ai travaillé sur le premier trailer de Star Wars EclipseTM.

QD : Dis-nous en plus sur les membres de ton équipe. Tu as quelques anecdotes en mémoire ? 

L’équipe grandit en fonction des besoins ; actuellement je travaille quotidiennement avec Alexandre Bremard, qui est le Premier Assistant Réalisateur du studio. C’est mon bras droit et c’est un véritable couteau suisse. On vient tous les deux d’une formations cinéma et on échange constamment pour surmonter les défis, comme par exemple « gérer un tournage avec des caméras broadcastées en live du Japon, avec trois langues différentes sur le plateau et un traducteur en ligne, le tout avec un timing très serré et des cascades à faire » ! 😅

Et pour des anecdotes, j’en ai des dizaines, et il faudrait des heures pour tout raconter. Je peux vous parler de la fois où Valorie Curry a tellement été excellente dans sa performance que j’en ai oublié qu’on était sur un tournage, j’en ai eu les larmes aux yeux ; ou alors les dix jours de tournages avec Clancy Brown et Bryan Dechart, à la fois un apprentissage quotidien sur la direction d’acteur et une épiphanie sur comment naissent certains personnages de fictions. J’ai aussi un souvenir merveilleux d’une discussion avec Lance Henriksen où il m’a parlé de sa passion pour la sculpture et la poterie. C’est le grand bonheur d’être dans une équipe qui travaille avec autant de profils différents.

QD : Peux-tu nous décrire ta journée type ? Est-ce que ça existe pour toi ? 

Il n’y a donc jamais de journée type et c’est d’ailleurs le véritable moteur d’un poste de réalisateur. Et puis, en plus des shootings avec des studios externes, nous développons en interne différents projets, c’est très rafraichissant ; il faut changer de vision à chaque fois qu’on bascule de l’un à l’autre. Mais ce n’est pas encore le moment d’en parler ! 😉

QD : Certaines de tes inspirations extérieures se reflètent-elles dans ton travail ? 

Inconsciemment, oui. C’est d’ailleurs inhérent au processus créatif, et les réalisateurs passent généralement par une phase d’absorption, puis par une phase de communication à travers le média ciblé ; la question est donc de savoir ce que l’on va absorber. Je suis par exemple un amoureux de documentaires, ça inspire à chercher dans notre monde ces évènements incroyables qui rendent le réel plus fantastique, invraisemblable et riche que ce que peut être la fiction. Je pense que pour connecter le spectateur à n’importe quel personnage fictionnel il faut l’ancrer dans la réalité du récit, et pour ça rien de mieux que de s’inspirer de notre monde. Ça permet aussi de faire évoluer notre manière de raconter une histoire.

Une autre inspiration forte, c’est la vision de David Fincher sur le langage corporel à travers la caméra. Fincher dit notamment que dans « emotion » il y a « motion », on transmet autant par le dialogue que par le mouvement, que ce soit par la caméra ou par le langage corporel d’un personnage. C’est assez fascinant de l’appliquer à la motion capture, qui se concentre souvent sur l’expression pur du corps pour raconter une histoire. Hors tournage performance capture, où la voix et l’expression faciale sont également filmées, on n’a que le corps pour exprimer une intention.

Et enfin, le jeu de rôle traditionnel : le meneur de jeu doit créer et partager un imaginaire collectif à travers une histoire interactive, et c’est assez proche de mon métier, particulièrement sur le travail des histoires à embranchements et le fait de projeter les acteurs dans des univers fictifs. C’est déjà une prouesse de créer un personnage fictif sur un tournage classique, alors en motion capture, où les acteurs sont en combinaison neutre, sur un plateau sans décor, avec des accessoires en bouts de cartons, parfois ça relève du miracle ! L’imaginaire, et la capacité du réalisateur à le partager avec les acteurs, c’est primordial. Je remarque souvent que les rôlistes comprennent très facilement le système d’histoires à embranchements de Quantic Dream.

QD : Voici une grande question… Quels sont tes jeux préférés ? 

Il y en a tellement… Je pense à Bloodborne dans lequel je me replonge régulièrement, à Skies of Arcadia, Journey, Inside, P.T., Resident Evil, Silent Hill 2, The Last Door, Myst, Grandia, Heart of Darkness, The Legend of Zelda: A Link to The Past, Metal Gear Solid… Impossible de tous les citer ! Ce que j’aime surtout dans un jeu vidéo c’est sa capacité à provoquer des émotions à travers un univers unique, que ce soit l’effroi, l’émerveillement, la colère ou le simple plaisir d’explorer un monde. Nous vivons la période la plus riche en termes de créations d’univers fictifs, et je pense que c’est notamment dû au fait que nous sommes les générations coincées entre la grande période de l’exploration de notre planète et, je l’espère, l’avènement de la conquête de l’espace. En manque de possibilités de découverte et d’explorations d’espaces, je trouve ça logique que l’homme se soit, notamment, mis à créer des univers fictifs à explorer.

QD : Dis-nous en plus sur tes centres d’intérêt en dehors du travail. 

J’adore voyager, notamment en Russie d’où ma compagne est originaire. Je peux aussi passer mes nuits à regarder des documentaires sur l’espace, les animaux ou des histoires fantastiques. Et puis j’adore passer des heures aux fourneaux à cuisiner ou à regarder des recettes à tester, j’ai un amour inconditionnel pour la cuisine italienne et le fromage (vous avez dit parmesan ?!). J’ai par ailleurs la chance d’écrire des livres de jeux de rôles pour pleins d’univers différents et c’est à chaque fois une vraie aventure ; j’explore des univers variés comme la dark fantasy, le post-apocalyptique, les enquêtes contemporaines à la H.P. Lovecraft ou le Japon féodal. J’y apprends énormément sur ces sujets, en plongeant dans des genres atypiques, sur des périodes plus courtes que le développement d’un jeu vidéo. Cet amour pour le jeu de rôle m’a même amené à co-fonder Let’s Role, une plateforme qui permet de jouer en ligne gratuitement.

QD : À quoi ressemble ton vendredi soir idéal ? 

Une bonne bouteille (idéalement de vin rouge) et des amis. Après, si c’est agrémenté d’une partie de jeu de rôle ou d’un bon bar c’est encore mieux, et puis s’il y a un joli plateau de fromage le tableau est parfait. Vu que j’ai le bonheur d’avoir des gens passionnés et passionnants autour de moi, les discussions sont souvent endiablées, en particulier sur le cinéma et le jeu vidéo. Cela dit la pandémie réduit les sorties physiques, un vendredi soir actuel c’est souvent un jeu de rôle en ligne, ou un film en amoureux avec un plateau TV.

QD : As-tu un message pour nos lecteurs ? 

Beaucoup de bonheur pour 2022 et que la Force soit avec vous !

QD : Dernière question ! Gâteau au chocolat ou tarte aux fruits ? 

Je suis clairement team salée, mais une tarte au chocolat noir avec des éclats de sel je dis oui ! J’ai un côté hobbit quand on parle de la nourriture, donc à la limite je fournirais un effort pendant mon second petit déjeuner s’il n’y a que ça ! 😉