FIERTÉS QUANTIC !

Le mois des fiertés nous rappelle qu’il faut célébrer la diversité, cette force fondamentale du monde du jeu vidéo, mais nous ne devons pas oublier que donner une chance à chaque personne concernée de faire entendre sa voix est une action continue. À l’initiative de ses porte-paroles, la communauté LGBTQIA+ de Quantic Dream a ainsi créé récemment un groupe de discussion au sein du studio, étendu entre Paris et Montréal, pour centraliser les réflexions, cultiver le dialogue dans les équipes et proposer des actions concrètes, célébrer, sensibiliser. Rencontre croisée avec Ingrid (Lead Animation Motion Kit, Paris), Sébastien (Lead Environment Artist, Paris), Hyun-Soo (3D Character Artist, Paris) et Benoit (Senior Gameplay Programmer, Montréal).

Les porte-paroles Sébastien / Ingrid / Hyun-Soo (Paris) et Benoit / Serge (Montréal).

Quantic Dream – Ingrid, tu es à l’origine du groupe LGBTQIA+ au sein de Quantic Dream. Quelle est l’étincelle initiale ?

Ingrid – Je suis chez Quantic Dream depuis plus de 10 ans et même si nous avons toujours parlé librement de ces sujets avec l’ensemble du studio et que nous ne ressentions pas le besoin de formaliser un groupe, c’est quelque chose que je voulais initier de longue date, principalement pour échanger et partager nos expériences. Le déclic est venu début 2022 avec la lecture de commentaires extérieurs virulents contre le studio, difficile à supporter en tant que membre LGBTQIA+ : je ne me reconnaissais pas dans l’image de Quantic Dream et de mon environnement de travail dépeinte par ces critiques. Je me souviens m’être dite à ce moment-là qu’il fallait en parler et voir dans quelle mesure nous pouvions agir.

Hyun-Soo – En particulier lors de l’annonce de Star Wars EclipseTM, tout le monde ici était très heureux de la vague de retours positifs, mais des voix extérieures évoquaient aussi des choses sur le studio que je ne vivais pas du tout au quotidien. Nous avons donc lancé un fil d’emails à tout le studio pour faire le point sur la situation. Certains de nous avons naturellement fait notre coming-out et demandé si nous pouvions à titre personnel partager ce que nous vivions ici, car nous trouvions ces propos injustes.

Benoit – L’initiative est venue de Paris, mais il était tout naturel pour Serge (Programmeur Gameplay Senior) et moi, à Montréal, de participer aussi ; l’inclusion et l’ouverture sont des valeurs que nous partageons.

Ingrid – Le lancement d’un groupe nous représentant était tout simplement un cri du cœur. Les membres veulent témoigner positivement et de façon active de ce qu’on vit à Quantic Dream.

Sébastien – Pour moi cela devenait une nécessité de faire entendre notre voix. Je lisais tant de choses qui ne correspondaient pas aux valeurs du studio que je connais depuis plus de 14 ans.

Quantic Dream – Au quotidien, qu’est-ce que ce groupe amène au sein du studio et des équipes ?

Hyun-Soo – En tout premier lieu il permet à toute personne qui le souhaite de pouvoir s’exprimer à ce sujet, en privé ou non. Il permet aussi d’informer, d’organiser des évènements ou d’aider des personnes.

Ingrid – Ce qui m’a touché à l’officialisation du groupe, ce sont les nombreux messages d’encouragement et même les remerciements de mes collègues, pour cette initiative. J’ai la sensation que ça apporte un sentiment clair d’ouverture pour la nouvelle génération de Quantic Dream ; ouverture que les porte-paroles du groupe ont toujours connue au sein du studio et veulent désormais partager.

Benoit – La présence d’un groupe LGBTQIA+ donne effectivement une visibilité à la communauté et envoie le message aux gens qu’ils peuvent être eux-mêmes au travail.

Ingrid – C’est vrai que nous aspirons tout d’abord à être à l’écoute et à soutenir les personnes qui en auraient besoin ; l’expérience individuelle n’est pas universelle. Nous voulons aussi partager et faire découvrir ce monde incroyable à nos collègues. Sensibiliser en interne sur des dates commémoratives importantes, comme la Journée Mondiale Contre l’Homophobie et la Transphobie, partager des films, des séries ou des jeux pédagogiques et bienveillants qui nous touchent, ou même inviter tout le monde à célébrer le mois des fiertés “as a single team”, comme une seule équipe, sont des initiatives qui nous motivent déjà. J’ai vraiment ressenti que nous avions, en créant ce groupe, fait le bon choix pour notre équipe.

Quantic Dream – La représentation des identités est un sujet primordial dans le jeu vidéo contemporain, que ce soit dans les studios ou les jeux eux-mêmes, mais ça n’a pas toujours été le cas. Comment percevez-vous cette évolution ?

Ingrid – Dans les jeux vidéo, les identités ont toujours été représentées ! Néanmoins, si par le passé j’ai pu être ravie des jeux où je me sentais représentée, je déplorais aussi l’aspect caricatural, voire comique, qui y était associé. Les mentalités ont largement progressé grâce à de nombreux médias, à la culture et au jeu vidéo, qui reflètent de plus en plus notre société multicolore, avec respect. Je suis très fière qu’on en soit arrivé à ce stade et qu’il y ait cette volonté d’aller de l’avant.

Benoit – Les arts ont en effet toujours joué un rôle clé dans l’évolution des mentalités et les jeux vidéo sont des œuvres artistiques en soi, sur un fond de technologie. Il n’est donc pas surprenant de voir une représentation des identités plus riche dans les jeux vidéo modernes.

Hyun-Soo – Et plus les minorités sont vues, plus elle se normalisent ; c’est en tout cas ce que je ressens avec mes proches et au travail. D’ailleurs, j’avais déjà fait mon coming-out dans mon équipe il y a plusieurs années ; je n’ai pas perçu de changements, je me sentais juste plus libre et ça m’a fait beaucoup de bien. Et lors de mon coming-out au reste du studio, j’ai eu des messages d’encouragement et de soutien, ça m’a vraiment touché.

Sébastien – C’est en effet une évolution naturelle de la société. Cependant il faut le faire naturellement, pour servir les sujets abordés d’une façon claire, sans pression ; c’est le meilleur moyen de faire avancer des causes.

Quantic Dream – Un long chemin a été parcouru pour un jeu vidéo plus inclusif, mais reste-t-il encore des voyages à faire ?

Hyun-Soo – C’est très simple : tant que l’humain existe, il faut continuer à représenter tout le monde, car cela fait partie de l’humanité.

Ingrid – Oui, le chemin parcouru est d’abord celui de la société : beaucoup d’efforts ont été déployés pour changer le regard sur les minorités. En France, les médias, les réseaux sociaux et plein de groupes et d’associations éduquent et alertent. Nos lois vont de plus en plus dans le sens de l’acceptation d’une société arc-en-ciel. Ces sujets, autrefois exceptionnels, se banalisent enfin ! Certes, je reste lucide sur le fait qu’il reste des pentes très raides à gravir, mais cet enthousiasme vers une inclusion juste est hyper positif pour la suite.

Benoit – La situation s’est grandement améliorée depuis le début de ma carrière, mais c’est le rôle de chacun et chacune de bâtir un environnement sain pour tout le monde.

Sébastien – On le voit chaque jour : il reste un long chemin pour que tous les gens acceptent nos différences, quelles qu’elles soient. Si le jeu vidéo peut faire bouger les lignes, c’est une belle avancée.

Ingrid – Je reste très optimiste sur le fait qu’on arrivera à un moment où nous nous plongerons pleinement dans un jeu pour le jeu, sans se poser de question sur l’identité des personnages que nous incarnons.